Emo, Screamo, DSBM, Goth et Crunkcore
Emo
Dans les années 1990, alors que le death metal et le black metal s’aventuraient dans des territoires musicaux de plus en plus extrêmes, un autre mouvement gagnait discrètement en popularité. Le rock indie, issu de l’éthique DIY du punk, évolua vers un style lo-fi et introspectif qui rejetait le grandiloquent du rock commercial. Cette trajectoire trouva un parallèle intéressant avec l’emo, un genre tout aussi mélancolique, fusionnant la nature brute et confessionnelle du punk avec l’esthétique discrète de l’indie.
L’emo devint ainsi une branche plus vulnérable émotionnellement du rock indie, s’imposant progressivement alors que le rock alternatif dominait les ondes. En tissant des paroles auto-dérisoires et des mélodies en tonalité mineure dans un son distinctif et sincère, l’emo élargit les frontières du rock indie, se transformant en un sous-genre défini au milieu des années 1990. Bien que son ton introspectif résonnât avec une jeunesse désabusée, les critiques le taxèrent souvent d’auto-apitoiement et d’égocentrisme esthétisé.
Screamo
Beaucoup remarquèrent que des groupes screamo comme Papa Roach et Bullet For My Valentine se rapprochaient de l’extrême metal, et plus particulièrement du black metal, les deux utilisant une distorsion soutenue des guitares pour créer des vagues sonores ambiantes. Certains espéraient alors combler le fossé entre ces styles, malgré des différences radicales en matière de composition, de vision et d’esprit.
Alors que le black metal se consumait lui-même, d’abord avec des imitateurs (comme Gorgoroth et Dark Funeral), puis avec des substituts (comme Ulver et Deafheaven), un screamo mâtiné de black metal apparut, intégrant des influences crust, indie et emo. L’idée se répandit lorsque Jerry Horton, guitariste de Papa Roach, rejoignit le "supergroupe" de black metal Twilight, fondé avec un collaborateur d’Ihsahn (Emperor) et Nergal (Behemoth), et dont le son évoquait davantage le drone et le rock indie que le black metal.
L’épicentre de cette scène se situait à San Francisco, où les milieux indie-rock branchés commencèrent à promouvoir le black metal dès la fin des années 1990. Un autre grand influenceur du screamo fut le groupe suédois Opeth, qui s’affichait sous l’étiquette death metal, mais dont la musique – alternant couplets acoustiques et refrains distordus – ressemblait davantage au nu-metal ou à l’alternative metal sans les rythmes sautillants. Opeth s’adressait à une audience avide de complexité ostentatoire – du type "tu ne peux pas comprendre, c’est trop profond et techniquement avancé" – séduisant ainsi une jeunesse en quête de validation, prête à se jeter sous un train si on lui disait "c’est ce que font les vrais durs".
Goth
Les premières œuvres de Burzum et Neraines démontrèrent que le clavier pouvait être un outil efficace pour façonner des atmosphères sinistres en black metal. L’ajout de chœurs et de cordes créait un contraste cinématographique épique avec les guitares dissonantes qui caractérisaient le genre depuis sa scission. Ce qui servait d’accent discret dans des morceaux comme "Chamber of Reunion" d’Infester et "Thousand Swords" de Graveland devint progressivement un élément central.
Cependant, à mesure que le black metal gagnait en notoriété, son esthétique sombre attira une nouvelle vague d’adeptes, plus fascinés par son imagerie théâtrale que par sa défiance idéologique. Dès le milieu des années 1990, une fusion entre le romantisme gothique et le black metal fit son apparition, popularisée par des groupes comme Cradle of Filth et Dimmu Borgir. Bien que ces formations intègrent des éléments de black metal, leur musique reposait lourdement sur des clichés gothiques : claviers atmosphériques, paroles vampiriques et ballades romantiques déguisées en metal extrême.
Le point culminant de cette dénaturation fut l’album Dusk... and Her Embrace (1996) de Cradle of Filth, qui substituait l’agression du black metal à une bande-son horrifique à la Tim Burton, insipide et formatée pour un public goth romantique. Entre des ballades d’amour et des passages récités par "la femme la plus corpulente du metal", le cirque musical de Cradle of Filth fut si offensant pour la communauté metal que certains militèrent pour faire du goth un crime punissable. En conséquence, les claviers devinrent tabous dans le black metal "authentique" et le restent encore aujourd’hui.
DSBM
Dans les années 2000, un nouvel état d’esprit s’imposa dans le black metal : au lieu d’attaquer le monde, la rage se retourna contre soi-même. Les groupes commencèrent à chanter sur le suicide, le chagrin et l’automutilation, rejetant la vie et la société avec encore plus de nihilisme. Quelques albums intéressants virent le jour, que ce soit par leur thème ("Depression" d’Abyssic Hate, "End of Life" de Strid), leur style ("Filosofem" de Burzum, "Return of the Black Death" d’Antestor) ou les deux ("Fenrir Prowling" de Neraines, "Lifeless" de Reiklos).
Mais vers 2005, une vague d’anciens emos en quête de musique plaintive et auto-destructrice, mais plus "lourde", se mit à enregistrer du Depressive Suicidal Black Metal (DSBM) dans les chambres de leurs mères. MySpace leur offrit une plateforme idéale pour produire de la musique lo-fi et se faire passer pour des musiciens. Le genre dégénéra en une caricature grotesque du black metal, incarnée par I’m in a Coffin et leur album "One Last Final Action" – un festival de pochettes clichées (cordes de pendus), de titres ridicules et de vocalises insoutenables. Fort heureusement, cette mode du "suicide metal" s’éteignit d’elle-même après quelques années, ses adeptes se recyclant dans le post-black metal (Xasthur, Deafheaven, etc.).
Crunkcore
Dans notre ère de conscience féministe exacerbée, il semble impensable que des groupes ouvertement misogynes aient jadis attiré des foules de fans féminines (et parfois séduisantes, contrairement à celles d’Arch Enemy). Issu du goregrind – version encore plus outrancière du deathgrind – le "slamming gore death metal" connut un tournant absurde lorsque ses musiciens, frustrés par leur chasteté involontaire, adoptèrent l’esthétique clinquante de Versace et l’univers musical de Brokencyde.
Vêtus de néon et arborant des logos fluos dignes de Squid Game ou Goosebumps, ces "gangsters de banlieue" fusionnèrent l’image de la scène metal avec une musique qui en était l’antithèse. L’album "I'm Not a Fan, but the Kids Like It!" en est la preuve ultime, un concentré de rap criard, de techno bas de gamme et de paroles navrantes.
Nombre de ces artistes sombrèrent dans la drogue ou la criminalité, et le metal put enfin tourner la page. Mais si jamais vous croisez un groupe avec un logo verdâtre et des références au "crunk", surveillez bien votre matos : il risque de finir transformé en argent pour crack.
Et si jamais vous vous surprenez à vous plaindre de l’élitisme dans le metal et à poser des questions absurdes du genre "pourquoi ne pouvons-nous pas simplement dépasser nos différences et apprécier ensemble le metal ?", souvenez-vous simplement que la chanson "Sex Toys" de Brokencyde contient un couplet avec les paroles : "Girl, you make my pee-pee hard" (ndt: "meuf, avec toi mon zizi est tout dur").